Contribution collective au débat : Changeons ce monde

Publié le par EMINEM cgtmci@free.fr

 08 juin 2008

Contribution collective au débat

Changeons ce monde 

Pour un projet et une force politique de transformation sociale et écologique 

            Avertissement

Ce texte a une ambition : contribuer à préciser des éléments d’analyse, et à faire s’affirmer une perspective. Il appelle à un débat qui permette d’élaborer une alternative politique de gauche, dans le respect des expériences et des parcours. Il est issu de discussions entre des militantes et militants associatifs, des acteurs du monde culturel et scientifique, des écologistes, des féministes, des militants pour l’égalité des droits, des syndicalistes, des communistes, des trotskistes, des autogestionnaires, des altermondialistes, des alternatifs.

Notre contribution s’adresse largement à  beaucoup de personnes que les mouvements sociaux et l’action politique ont fait se rencontrer et parfois se rassembler ces dernières années. 

Nous avons agi ensemble, hier, contre le projet européen de constitution. Grâce à l’unité de la campagne, beaucoup de citoyens y avaient trouvé une place active.

Demain, une campagne unitaire pour une autre Europe sociale, démocratique et écologique pourrait permettre une dynamique encore plus forte et encore plus large.

Nous avons aussi participé à des mobilisations et des mouvements « antilibéraux », comme aux collectifs unitaires lors de la tentative d’aller vers une candidature commune à l’élection présidentielle.

Et nous sommes aujourd’hui très nombreux à soutenir les efforts pour maintenir et reconstruire un processus unitaire ; cela, finalement, est en discussion en de multiples lieux, depuis le texte politique adopté en décembre aux Assises de la coordination des collectifs unitaires pour une alternative au libéralisme jusqu’à de nombreux appels locaux, des discussions ouvertes par des communistes unitaires aux discussions autour du projet de NPA de la LCR. Cette contribution est donc une tentative d’approfondissement en appelant d’autres, destiné à relancer la construction d’une alternative politique : comme l’a proposé encore récemment l’Appel publié le 15 mai par Politis « L’ALTERNATIVE À GAUCHE, ORGANISONS-LA! »

Nous ne nous résignons pas au triomphe d’une réduction des choix politiques créé par le  bipartisme ; elle serait forcément favorable à l’ordre capitaliste établi et au repli conservateur. Ni au fossé entre colère sociale et intervention politique. Ni à l’éparpillement des forces de différentes natures qui pourraient former ensemble une dynamique politique démocratique de transformation sociale, écologique, autogestionnaire. Sous peine d’entrainer toutes les composantes à l’échec, un « centre » ne peut, à lui seul, lancer cette dynamique : nous devons le faire ensemble.

Nous voulons contribuer à la constitution d’une force politique de caractère nouveau ; chacune et chacun devrait pouvoir y agir en restant ce qu’il/elle est. Plus exactement, nous avons le sentiment que l’existence d’une telle force est la condition pour que ce que nous sommes les uns et les autres puisse exister et se développer en jouant un rôle politique.

Une telle formation, un tel rassemblement, mouvement ou espace politique (selon les termes des uns ou des autres) doit être d’un type totalement inédit. La volonté de mettre à la portée de toutes et tous les citoyens l’accès à l’élaboration de solutions et l’accès aux pouvoirs d’intervention et de décision devrait être au cœur d’une telle démarche. Cette option passera aussi bien par sa composition par que son fonctionnement. Cela suppose un processus dans le temps qui permettra que personne ne craigne « d’arriver trop tard » pour participer à sa définition.

Sans attendre la fin d’un tel processus, dont le résultat ne peut pas être connu à l’avance, nous souhaitons qu’il joue son rôle dans tous les rendez-vous sociaux et sociétaux et lors de chaque échéance politique et électorale. Il doit permettre l’émergence d’une culture et d’une action politiques à la hauteur des besoins et des enjeux.

Il s’agit de rendre possible l’investissement des espaces institutionnels par les citoyens pour déboucher sur des majorités qui fassent de la gauche une vraie gauche capable de redonner toutes les dimensions de ses valeurs pour une transformation écologique et sociale, pour un monde nouveau.

Le texte que nous publions a donc une fonction précise : rendre visible et lisible une attente que nous savons largement partagée : cristalliser les volontés et les énergies qui ne se résignent pas à la « loi du marché ».

Notre texte est une incitation au débat, à la confrontation constructive des idées, la diversité de nos parcours montre qu’il est possible de travailler ensemble à la construction d’une alternative.

Nous en appelons donc à des initiatives, des contributions convergentes. Disons clairement ce que nous voulons, ce que nous faisons et prenons le temps de le mettre en œuvre.

 

Les auteurs de ce texte :

Etienne Adam, Gilles Alfonsi, François Asensi, Tarek Ben Hiba, Jean Brafman, Patrick Braouezec, Lionel Chassaing, Pierre Cours-Salies, Adjera Lakehal, Pierre Laporte, Jean-Pierre Lemaire, Alain Marcu, Fernanda Marrucchelli, Roland Mérieux, Gilles Monsillon, Nathalie Ovion, Evelyne Perrin, Katie Palluault, Patrick Silberstein, Catherine Tricot, Pierre Zarka

Nous vous invitons à écrire et à envoyer toutes contributions, sur la ligne générale de ce texte, mais aussi sur des parcours ou des situations dont vous estimez qu’ils sont peu ou mal traités, sur des questions stratégiques qui restent trop allusives. Les auteur-e-s en feront de même.

Contacts : Gilles Alfonsi gillesalfonsi@free.fr ; Pierre Cours-Salies pierre.cours-salies@wanadoo.fr ; Katie Palluault katie.palluault@gmail.com ; Gilles Monsillon gilles.monsillon@free.fr ; Roland Mérieux roland.merieux@gmail.com

Les sites :

La coordination des collectifs unitaires : http://www.gauchealternative.org/

Les Alternatifs : http://www.alternatifs.org/

Les communistes unitaires : http://www.communistesunitaires.net

Les alter Ekolo : http://alter.ekolo.eu

                                                                            * *


Entre-deux

« Le monde ancien disparaît,

un monde nouveau est en train de naître,

et dans le clair obscur de cet entre-deux,

les monstres prospèrent ».

Gramsci.


Notre époque vit un entre-deux. Angoisse et espoir traversent toutes les sociétés et tous les champs de la vie : les possibilités ouvertes par le développement des connaissances, des sciences et des techniques, par la créativité des humains n’ont jamais été aussi considérables, mais les menaces contre le genre humain n’ont jamais été aussi grandes. Les aspirations à la paix, à la fraternité, à l’égalité, à la liberté sont devenues les valeurs les plus partagées, individuellement et collectivement ; mais elles sont souvent dévoyées et trahies. Il est possible de développer les capacités humaines collectives grâce à la richesse des individualités ; mais les formes dominantes du pouvoir, tant politique qu’économique, enferment chacune et chacun dans les contradictions de l’individualisme.

 

Le capitalisme perd fondamentalement sa légitimité aux yeux d’un nombre croissant d’être humains. Mais il semble que ce soit par défaut, comme si l’histoire restait paralysée par le bilan de régimes soi-disant « communistes » en Europe de l’Est : le capitalisme reste la seule organisation sociale viable aux yeux du plus grand nombre. Ceux-là même qui en combattent les déchirures, souvent, ne se projettent pas au-delà de ce système.

Les citoyens du 21ème siècle ont la capacité d’avoir la maîtrise du développement de leur société. Mais il faut pour cela rejeter l’idée ressassée par toutes les droites selon lesquelles la défense des garanties sociales, des acquis sociaux, est l’ennemie du mouvement, des réformes. Non, les luttes de résistance ne sont pas régressives, arc boutées sur le passé. L’archaïsme est de ne pas permettre que s’épanouissent les compétences humaines : voilà le nœud qui enserre nos existences et nous maintient entre un monde ancien qui disparaît et un monde nouveau en train de naître.


Le capitalisme contre la planète, contre l’humain


Dans l’incertitude de ce que sera l’avenir de l’humanité, le choix n’est-il pas entre le pire, auquel sont déjà confrontés la plupart des peuples (mais il y a souvent un pire du pire), ou une société où hommes et femmes, enfin, maîtriseront les décisions à l’aune des aspirations individuelles et collectives à l’émancipation ?

Les ressorts du monde ancien sont profondément modifiés. Dans le capitalisme qui anime désormais le mouvement économique de la terre entière, la classe ouvrière a perdu de sa visibilité ; les lieux du travail et de la production sont éparpillés sur tous les continents, dans des complémentarités fondées sur le seul profit maximum pour une petite minorité.

Comme jamais, le capitalisme bafoue à la fois le sort des populations et l’avenir de la planète. Le gaspillage et la gestion libérale des ressources de la planète, l’eau particulièrement et les ressources non renouvelables, telles le gaz et le pétrole ; le pillage de celles du Sud va de pair avec l’explosion des inégalités sociales – inégalités entre le Nord et le Sud et au sein de chaque pays Le dérèglement climatique, le réchauffement rapide de l’atmosphère, la pollution des mers, de l’air et de l’eau, le problème des déchets nucléaires, la disparition progressive de la biodiversité, la déforestation sont autant de conséquences d’un modèle de développement tourné vers le profit et destructeur de la nature comme des conditions de vie d’un grand nombre de personnes.

L’objectif fondamental de toute politique d’émancipation, indispensable pour l’avenir de la planète comme pour la qualité de la vie pour toutes et tous, est contredit, contrecarré, stérilisé, empêché.

Ici le chômage massif ; là, la précarité généralisée : ici l’exploitation confinant à l’esclavage ; là, le poids insupportable des pouvoirs hiérarchiques… Le capitalisme dévalorise le travail. L’exclusion, la pauvreté, la souffrance sont le lot commun, le travail salarié, nous dit on, serait devenu rare.

Au capitalisme industriel de l’après-guerre s’est substitué en quelques décennies un nouveau système de domination sur les pays pauvres et sur les couches populaires des pays riches, une mise en concurrence au détriment des peuples. De nouvelles formes d’exploitation se sont développées. Entre le Nord et le Sud, une interdépendance toujours plus grande existe, au niveau économique mais aussi dans le domaine culturel ; mais les échanges sont marqués du sceau de l’inégalité.

Presque partout, les États servent la domination du marché et de la marchandisation de tout, y compris celle du corps humain. Le voilà, l’ « ordre » de ce monde,  il y a convergence entre le pillage des ressources humaines et celui de la terre : l’être humain et la planète sont gérés comme des marchandises.


Mouvements multiples, alternative globale


Des voix montent de plus en plus clairement, en particulier depuis les Forums Sociaux continentaux et mondiaux, pour que s’exercent des convergences populaires, des rapports de solidarité, afin de sauver l’humanité. Des mouvements entendent transformer la plainte, la résistance en force politique pour changer les rapports sociaux, pour changer le monde. Ils s’opposent au système de domination néocoloniale, de pillage des ressources humaines et matérielles, à l’assujettissement par l’endettement, à la gouvernance du développement menée par le FMI et la Banque mondiale.

Cependant, la difficulté à penser les nouveaux rapports à la société, au travail, aux autres, ici et dans le monde est évidente.

Là où l’émergence de l’individualité, les aspirations à l’autonomie, la valeur de la personne, de la vie pourraient être de formidables avancées pour un monde plus juste et plus libre, le capitalisme glorifie les individualismes et encourage l’égoïsme, pour mieux diviser, quand il ne favorise pas directement la constitution de ghettos culturels, environnementaux et sociaux, le repli sur soi, voire la xénophobie et le racisme.

En France, où des luttes historiques avaient permis des acquis majeurs, qui avaient modifié les rapports de forces entre dominants et dominés, sortant de la sphère marchande tout ou partie de certains biens communs de l’humanité, la précarisation de la vie, qui se coule dans la précarisation massive du travail salarié, la remise en question des biens et services publics, de tout ce qui sécurise l’avenir et permet donc de s’y projeter, sont au cœur du projet de Sarkozy.  

Le combat actuel de la droite et du patronat est bel et bien de faire disparaître l’idée même que les hommes et les femmes pourraient être embarqués ensemble, solidaires du « même bateau », partageant le pouvoir et maîtrisant leur vie. Leur combat vise à en éradiquer la possibilité concrète. On donne prise à tout ce qui sépare, on entretient la peur et on encourage tous ceux du « bas » de l’échelle sociale à rechercher des solutions individuelles pour ne pas sombrer dans la fosse  « précarité – pauvreté ».

De ce fait, les capitalistes développent une idéologie qui rend chacun et chacune responsable de son sort : il faut être le meilleur contre les autres et en cas d’échec, il ne faut s’en prendre qu’à soi-même. Une telle idéologie est génératrice de violence tournée soit contre les autres, soit contre soi-même.

En même temps, si ce type de société se développe, c’est qu’il apparaît malgré tout comme le seul qui puisse générer une efficacité permettant de vivre en société. Il capte et utilise l’aspiration d’un grand nombre d’hommes et de femmes à réussir, à construire, pour les mettre au service des plus forts et il encourage les faillites éthiques. Tout est assimilé à la marche d’une entreprise ; le marché est présenté comme la liberté, la précarité comme le prix à payer.

L’Occident, dans ce monde ancien habitué à dominer, s’occupe à recentrer l’intérêt de ses populations sur leur nombril : « tant pis pour le Tiers monde », comme si nos destins d’humains n’étaient pas aussi intimement liés que l’économie mondialisée, les cours de Bourse et le réchauffement climatique.

Il faudrait reconnaître l’urgence écologique en remettant en cause le productivisme du modèle de développement capitaliste qui s’est épanoui à l’Est comme à l’Ouest ; en réaffirmant le lien nécessaire entre justice sociale et préservation de l’environnement ; en abordant de façon démocratique et sociale les enjeux et les défis du réchauffement de la planète. Nos propositions doivent déboucher sur une modification en profondeur des politiques agricoles, industrielles, énergétiques et de transports.

Que l’on parle d’ultralibéralisme ou de néolibéralisme, le constat est là : « réduction d’impôts, libéralisation des échanges commerciaux, privatisation des services, déréglementations et diminution des dépenses sociales,… » . Leur bilan est là : les profits d’un petit nombre amènent le pillage des ressources publiques pour l’intérêt privé et l’accroissement dramatique des inégalités entre riches et pauvres. Cette crise, politique, économique et sociale, l’explosion de la dette, l’accroissement du chômage, la dégradation sans fin du pouvoir d’achat, la hausse des prix des énergies et des matières premières, font planer la crainte d’un effondrement économique. Cette crise prétend se justifier par la « rentabilité » ; elle est accompagnée par une crise écologique majeure.

La surproduction, le gaspillage, le pillage des ressources de la terre, l’empoisonnement de notre eau, de notre air, de notre nourriture, de notre habitat, le développement des technologies de destruction, plongent les peuples dans l’abîme et frappent encore plus nettement les êtres et les pays les plus pauvres. Les poubelles et les tas d’ordures deviennent des gisements de survie.

C’est la mobilisation de ces peurs individuelles et collectives qui facilite l’acceptation « des seuls moyens » draconiens préconisés par un discours « libéral » martelé : diminution de la solidarité, des programmes de santé, de l’éducation, des aides aux chômeurs, de la lutte contre les inégalités, allongement du temps de travail… Les médias sont constamment utilisés pour conditionner l’opinion publique.

Une opposition asphyxiée, une démocratie court-circuitée, ces traumatismes profitent au système dit « libéral ».

Cependant, autre paradoxe d’aujourd’hui, alors que triomphe le libéralisme et l’ordre sécuritaire sous domination américaine, un nouveau monde semble émerger, encore timide, dispersé, et qui n’a peut-être pas encore pris conscience de sa force : en Amérique latine, avec de nouvelles formes de lutte des classes et des premières victoires étonnantes, par la voix des élections et des réformes démocratiques,  mais aussi en Asie, et en Afrique, où des voix nouvelles pour un autre monde, souvent féminines, se coordonnent.

Partout des révoltes traduisent les refus de la pauvreté, de la pénurie alimentaire, des discriminations, des inégalités. Les révoltes urbaines, comme celles que la France a connues en 2005, expriment de plus en plus, dans une montée inégalée et majoritaire de la vie urbaine à l’échelle mondiale, l’aspiration à vivre autrement.

Ce sont là des nouveaux points d’appui pour toutes les contestations populaires, alors que les États-Unis prétendent régenter le monde et imposer l’ordre néolibéral par la loi du plus fort, souvent par la guerre. Ce chantage impérialiste est terrible : comment oser se confronter à une telle « puissance » sans risquer un nouveau séisme mondial ? Comment lutter en réfutant le choc des civilisations et en réfutant d’être assimilés aux adversaires du « monde libre » ?

Aucune école n’apprend à provoquer le surgissement d’une autre logique dans le vacarme et l’évidence du quotidien le plus injuste. A nous de le faire surgir.

 


Une autre logique de société


Des points d’appui ne manquent pas, même si, les unes à côté des autres, des luttes fortes restent trop isolées malgré la sympathie qu’elles soulèvent.

Rappelons-nous de quelques jalons importants. Les combats de salariés, des syndicalistes qui savent montrer par quels chemins de redistribution des richesses passe l’avenir des retraites et de la protection sociale ; les actions de désobéissance civile (RESF, les robins des bois contre les coupures d’électricité, les actions antipub…) ; des associations de chômeurs et de précaires qui portent de véritables alternatives de société, des collectifs de mobilisation pour un secteur financier public ou pour le droit d’accès aux soins, des collectifs et associations qui portent le droit au logement, le droit à la mobilité et aux transports. Tous se heurtent au « mur de l’argent » et de ses agents politiques.

Mais nous ne voulons pas oublier l’essentiel : ils portent la richesse humaine et sociale, marquent la possibilité de changer ce monde. C’est souvent le cas des luttes d’entreprises : celle des syndicalistes d’Elf-Total contestant la direction de l’entreprise devant l’assemblée des actionnaires, ou celle d’Aventis mettant au jour comment leur entreprise devrait produire des médicaments utiles au lieu de supprimer des emplois au nom des intérêts des seuls actionnaires. Combien de mobilisations de salariés montrent la volonté de faire exister une conception du travail pour des biens communs et pas pour la marchandisation ? Des agents d’EDF ou de GDF en passant par les cheminots jusqu’aux enseignants et chercheurs ; des salarié-e-s de la santé aux travailleurs sociaux refusant un rôle répressif ; des luttes contre la malbouffe à la contestation des décisions scientifiques et technique au contrôle citoyen sur une science par trop dominée par les financiers…Dans sa ténacité, l’action des faucheurs d’OGM en a fait la démonstration, des champs aux tribunaux et finalement au Parlement.

Nous avons tous les moyens d’une autre logique de société.

Ce sont d’abord les espoirs et les valeurs si largement partagés de justice, de paix, d’égalité, de liberté, la volonté d’être des individus, l’affirmation de l’humain contre le tout-marchandise, la revendication d’une vie de qualité, la perception des limites de la société de consommation, la volonté de se soucier de l’avenir de la planète quand les dirigeants des entreprises le méprisent à ce point.

Le monde regorge de créativité culturelle, d’inventivité, d’innovation, d’espaces de partages et de valorisation. Dans le champ culturel, malgré toutes les tentatives de normalisation, s’expriment « l’être humain libre », les personnalités, les identités, toutes plurielles et complexes. Elles se combinent, convergent et parfois se rassemblent pour revendiquer une haute idée de l’humanité. Le positif de l’individualité, par opposition à l’égoïsme, c’est encore le refus de toutes les dépossessions, la volonté de reprendre la maîtrise de son avenir.

Quant au système de représentation politique, sa crise profonde vient de ce qu’au lieu d’être le moyen d’expression de tous les besoins et de toutes les recherches de solutions solidaires, au lieu de favoriser l’appropriation par tous des savoirs et des pouvoirs, il dépossède l’immense majorité des citoyens. Le vote, sans maîtrise publique des décisions techniques, scientifiques, sociales, économiques, tend à perdre le sens d’une expression individuelle et collective pour une conception de la société, au profit du choix entre des individus cherchant à s’affirmer.

Dans cette société du mépris, de soi-même et de l’autre, dans ce système de domination, les conflits de classes prennent des chemins, occupent des espaces, mobilisent des partenaires, s’organisent des modes nouveaux, dont il faut décrypter la portée.

Cependant, par des lois encore accrues par les Etats et l’Union européenne, le Nord se ferme au Sud : les échanges humains se trouvent de fait interdits, les études, la libre circulation (cf. la Charte des droits humains de l’ONU en 1948), le droit à une vie privée et même les mariages mixtes, via les lois sur l’immigration. Deux catégories de personnes sont définies, dont l’une est instrumentalisée à sa seule fonction économique immédiate, ne disposant pas des droits universels réservés désormais aux citoyens « de souche ». C’est par la loi encore que sont orchestrées la peur d’exister et d’avoir une vie sociale, les expulsions, la suppression des droits du travail, avec les conditions mises à la régularisation des sans-papiers et le refus qui leur est opposé.

Cependant, de nouvelles solidarités émergent. Elles impliquent des couches sociales passées de la peur de l’autre et de l’esprit de division à la conscience que nous ne pouvons vivre ensemble que si nous sommes tous égaux et que nous soyons au clair avec notre passé colonial et ses manifestations persistantes, telles le racisme et les discriminations. Il en va ainsi des actions menées contre la chasse aux enfants de sans-papiers, par exemple.


Face à l’idéologie libérale, le combat pour l’émancipation


Au sein des nouvelles formes de lutte pour la dignité et pour les droits se forge l’idée que nous participons à une même société et que l’absence des uns serait préjudiciable à tous les autres. Ce sont les luttes des dockers, des travailleurs et travailleuses sans papiers (de la restauration, du bâtiment, du nettoyage, des services à la personne…) et les luttes pour le logement avec les sans-domiciles, les mal-logés et les squatteurs.

Des luttes moins visibles mais de grande importance se mènent aussi pour que la ville et l’espace urbain ne se développent pas en confortant les séparations et les fractures spatiales et sociales.

Ces engagements sont tantôt institutionnels avec le rôle particulier des élus locaux de gauche : des efforts pour maintenir des politiques culturelles ambitieuses à la rénovation des quartiers populaires, au travail sur les centres villes, le dynamisme urbain des villes populaires, le logement social, l’école et l’université au service de la réussite de tous, des transports accessibles partout, des services publics bien répartis…

Il y a aussi les squats sur l’espace public, l’occupation des délaissés routiers, en marge de la ville, constituant de véritables bidonvilles, par des Rroms ou des travailleurs pauvres exclus du logement.

Et les luttes des jeunes, dans ce pays plus encore qu’ailleurs rejetés lorsqu’ils viennent des quartiers populaires, sont elles aussi porteuses de valeurs, de dignité, de l’exigence d’exister. Ce sont les lycéens, les universitaires, les étudiants, qui demandent les moyens pour participer à la construction d’un avenir, y compris à long terme avec la recherche, la lutte victorieuse contre le CPE, les McDo refusant la précarité organisée…

La force de ces mouvements revendicatifs témoigne que l’esprit critique et les convictions qu’un autre avenir est possible sont d’actualité au sein d’une jeunesse pourtant sans cesse sollicitée pour enterrer Mai 68 et intégrer définitivement le moule libéral.

Il importe aussi de décrypter de ce que disaient les révoltes des quartiers populaires de 2005, à la fois expression d’une défiance envers toutes les institutions et d’une immense colère contre toutes les relégations économiques, sociales, culturelles, les fractures que les politiques menées depuis les années 80 n’ont jamais permis de dépasser.

 est désormais déterminant de prendre parti face aux violences policières et aux violences d’Etat, de réfuter les surenchères sécuritaires et xénophobes, souvent associées, et d’aider à ce que la colère sociale prenne force revendicative et force politique.


Ainsi, dans le domaine de la santé la casse des services publics a amené à recourir à des spécialistes étrangers (médecins et infirmières), qui revendiquent leur droit à l’égalité. Précarisés par l’Etat, ils sont soutenus car reconnus par les patients pour leur valeur.

Nos gouvernants font le choix de la répression et non de l’éducatif, le choix de la sanction et de l’enfermement, et non de la confiance, le choix des oppositions entre les gens, du refus de la culture, et non de l’intelligence… Le choix du strict minimum comme horizon de vie, des « paniers » de services, et des « filets de sécurité ».

Et pourtant, on assiste partout à la démultiplication d’une éducation populaire moderne (universités populaires et citoyennes, cafés philo, ciné philo, cafés culturels…), qui se cherche dans ses formes mais qui déjà diffuse en réseaux multiples des idées, de la réflexion, de l’analyse individuelle et collective, de l’esprit critique.

Mondialement aussi, des luttes nouvelles mobilisent, exacerbées par le décalage indécent entre la recherche de profit, (par exemple sur les médicaments auxquels l’accès est vital pour des millions d’individus) et les besoins humains, élémentaires. En témoignent les émeutes de la faim pour cause de cotation des céréales en bourse depuis qu’on utilise les ressources alimentaires en carburant. Mais aussi les jeunes à la recherche d’une vie meilleure et finissant assassinés dans des bateaux de fortune ou sur les barbelés de Ceuta et Melilla ; les spoliés des subprimes ; l’eau privatisée et souvent détournée pour assujettir, qu’il s’agit à l’évidence de considérer comme un bien public universel à préserver ; ou encore l’économie (d’État) des armes et de la drogue.


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