CNCU : La gauche antilibérale et le PS par Rémy Jean
La question des relations avec le PS est depuis plusieurs années un des principaux sujets de débat dans la gauche antilibérale. Elle a été et demeure un des principaux obstacles au rassemblement de cette gauche antilibérale. La LCR fait du refus de toute alliance gouvernementale ou parlementaire
avec le PS une condition sine qua non pour ce rassemblementet ce sera probablement un élément central de l’identité du futur NPA. Mais d’une manière générale, ce débat traverse toutes les composantes de la gauche antilibérale. Aussi ne pouvons nous faire l’économie de le poursuivre et de
l’approfondir si nous voulons avancer.
Essayons tout d'abord circonscrire le débat. Il y a probablement un consensus général sur trois
points :
-indépendance vis-à-vis du PS,
-opposition à l’orientation sociale-libérale aujourd’hui dominante en son sein,
-recherche néanmoins de l’unité avec celui-ci (front unique) dans les luttes et les mobilisations
chaque fois que cela est possible (ex : contre le CPE).
C’est sur la question des alliances électorales, gouvernementales, parlementaires ou de gestion de
collectivités territoriales (régions, départements, communes) qu’il y a débat et désaccord. Pour la
LCR, aucune de ces alliances n'est aujourd'hui envisageable avec le PS. Pour d'autres formations ou
sensibilités de la gauche antilibérale, il en va différemment. Certains pensent qu'on peut seulement
envisager des alliances au plan local. D'autres que ces alliances sont également concevables au plan
national (gouvernemental ou parlementaire). C'est notamment le cas du PCF. Rappelons toutefois
que les CUAL d’avant l’éclatement de St Ouen s’étaient accordés, PCF compris, sur la position
suivante (texte « Ambition – Stratégie – Candidatures » adopté le 10 septembre 2006 à St Denis) :
« Nous ne serons pas d’un gouvernement dominé par le social-libéralisme qui, dans sa composition
comme dans son projet, ne se donnerait pas les moyens de rompre enfin avec le libéralisme, ne
répondrait pas aux attentes. Le Parti socialiste, notamment, a adopté un programme qui tourne le dos
à une rupture franche avec le libéralisme. Il est hors de question, pour nous, de négocier sur cette
base un contrat de gouvernement dont l’action, décevant une nouvelle fois, déboucherait
inéluctablement sur le retour d’une droite plus dure encore. De même, il est hors de question
d’accepter l’idée proposée par le PS d’une « fédération de la gauche » autour d’une telle orientation. »
Position que, pour sa part, la LCR avait considérée comme inacceptable car elle n’excluait pas
explicitement la possibilité d’une alliance gouvernementale avec le PS.
L’ensemble de la gauche antilibérale doit-elle aujourd’hui reprendre à son compte le point de vue de la
LCR sur cette question ?
Je ne le pense pas, même si ce point de vue semble conforté par le succès actuel du projet NPA et si
le spectacle de la préparation du congrès du PS est particulièrement accablant. Je pense au contraire
que ce point de vue condamne ses défenseurs à la marginalité et à l’impuissance politique.
Derrière cette question des relations avec le PS, il y en a en effet la question plus générale de la
stratégie de transformation sociale et écologique à mettre en oeuvre. Disons pour aller vite que si la
lutte pour transformer la société se mène à différents niveaux (élections, institutions, mobilisations
extra-parlementaires, expérimentations sociales diverses) qu’il nous faut chercher à combiner le
mieux possible, la transformation que nous voulons (rupture fondamentale avec un système
économique fondé sur la recherche du profit privé maximum, remise en cause de toutes les formes de
dominations) passe à un moment ou à un autre par la conquête de majorités électorales dans la
gauche et dans la société.
La réponse de la LCR à une contribution des CUAL publiée dans Rouge en mai dernier est significativement titrée « Avec ou
sans le PS, il faut choisir » (Rouge n°2254 du 29 mai 2008).
Comment conquérir (puis conserver) ces majorités électorales ? Tel est le problème de fond auquel la
gauche antilibérale est confrontée et tel est donc le cadre dans lequel la question de ses relations
avec le PS se pose.
Sur le plan électoral, le PS est aujourd’hui largement majoritaire à gauche. La gauche antilibérale ne
le deviendra qu’en gagnant à elle une large fraction des électeurs, des sympathisants et des militants
de ce parti. Mais elle ne pourra le faire qu’en leur proposant des perspectives de changement
crédibles, c'est-à-dire des perspectives de victoires électorales contre la droite au pouvoir débouchant
sur un gouvernement et une majorité parlementaire de gauche décidée à mener enfin une politique
favorable aux intérêts du plus grand nombre (salariés, chômeurs, retraités, jeunes en formation,
etc...).
Un très grand nombre d’électeurs, de sympathisants et de militants du PS sont prêts à adhérer à un
projet de gauche antilibéral. Certains à la gauche de ce parti en partagent déjà l’essentiel. Nous avons
pu vérifier cela lors de la campagne contre le TCE. La victoire du Non n’aurait pas eu lieu sans le
ralliement d’une grande partie de l’électorat socialiste, sans l’engagement en faveur de celui-ci de
nombre de ses militants et de certains de ses dirigeants. Le fait que tant d’électeurs socialistes aient
choisi de voter Non en 2005 contre l’avis de la direction du PS démontre qu’il existe de ce côté-là un
potentiel antilibéral massif. Rien ne permet de penser que ce potentiel antilibéral ait disparu et ne
puisse pas être réactivé demain dans d’autres circonstances.
Un très grand nombre d’électeurs, de sympathisants et de militants du PS sont donc sensibles au
discours de la gauche antilibérale. Mais, même pour les plus antilibéraux d’entre eux, ils ne sont
généralement pas pour autant décidés à rompre avec le PS. Pourquoi ? Parce que, bon an mal an, et
malgré tous les défauts qu’ils lui trouvent, le PS leur apparaît comme le seul outil crédible contre la
droite sur le terrain électoral. A tort ou à raison, ils ne lâcheront pas cet outil tant qu’un autre ne leur
paraîtra pas plus efficace de ce point de vue.
Comment espérer les en convaincre et les gagner à nous si nous disons comme la LCR qu’aucune
entente n’est possible avec le PS ? Ni aujourd’hui, ni demain (2012). Car, qu’on le veuille ou non,
dans les rapports de force actuels, dire cela équivaut à dire qu’il n’y pas de victoire possible contre la
droite et qu’il n’y a pas de gouvernement de gauche possible. Ni aujourd’hui, ni demain (2012). C’est
dire à l’électorat de gauche qu’il est battu d’avance et qu’il peut d’ores et déjà se préparer à en
reprendre pour cinq ans. C’est dire qu’il n’y a aucune possibilité de chasser Sarkozy et son
gouvernement du pouvoir et qu’on ne peut rien faire de plus que de résister pour limiter la casse. A
moins de penser – mais qui pourrait y croire ? – que la gauche antilibérale serait en mesure,
aujourd’hui ou demain (2012), d’être majoritaire à elle seule dans le pays.
Dire aujourd’hui qu’aucune entente n’est possible avec le PS, c’est de fait tourner le dos à ces
centaines de milliers d’électeurs, de sympathisants et de militants socialistes qui aspirent à une vraie
politique de gauche, mais qui veulent d’abord se donner les moyens de battre la droite, dans les
communes, les départements, les régions et au plan national. Comment espérer qu’ils nous rejoignent
un jour si nous commençons par tourner le dos au parti dans lequel ils se reconnaissent, fût-ce d’une
manière critique (et on sait que c’est souvent le cas) ?
Certains militants de la gauche antilibérale défendent aujourd’hui l’idée que le PS ne serait plus de
gauche. Admettons-le une seconde. Mais qu’en est-il de ces centaines de milliers d’électeurs, de
sympathisants et de militants socialistes ? Sont-ils de droite ? La gauche ne pèserait-elle que 10%
dans le pays ? Non, ces centaines de milliers d’électeurs, de sympathisants et de militants
socialistes sont de gauche, ils partagent globalement les mêmes valeurs et les mêmes aspirations que
nous, nous les retrouvons dans de nombreux combats, dans le mouvement syndical, dans le
mouvement associatif. Au-delà de la caractérisation du PS, c’est cela qui est important et que nous
devons prendre en compte pour définir une politique vis-à-vis de ce parti.
Si nous prenons cela en compte, si nous voulons non pas tourner le dos mais tendre la main à ces
centaines de milliers d’électeurs, de sympathisants et de militants socialistes, alors le discours qui
proclame qu’ « aucune entente n’est possible avec le PS » est véritablement intenable. C’est en vérité
la posture inverse qu’il faudrait tenir. S’il s’avérait qu’aucune entente ne soit possible avec le PS, ce
serait à lui de le dire, pas à nous. Ce serait à lui de refuser nos propositions d’entente et pas à nous
de nous refuser à les faire. Ce serait à lui de dire, le cas échéant, qu’il préfère s’allier avec le MODEM
qu’avec la gauche antilibérale. Mais comment dénoncer cette alliance avec le MODEM si nousmêmes
disons au PS qu’aucune entente n’est possible avec nous ?
C’est pourquoi, loin de tenir ce discours, nous devrions dire au contraire que nous voulons un
rassemblement de toute la gauche sur un programme de rupture avec le libéralisme (partage des
richesses, développement des services publics, renforcement de la protection sociale, révolution
énergétique, lutte contre les OGM, égalité des droits, régularisation des sans-papiers, paix et
coopération internationale, etc...). Nous devrions nous adresser à toute la gauche, interpeller toutes
ses composantes (PS compris), mener une bataille politique au sein du peuple de gauche pour dire :
assez de Sarkozy, assez de ce libéralisme destructeur, unissons-nous pour en finir avec la droite et sa
politique en mettant en oeuvre un vrai projet de transformation sociale et écologique. Cela mettrait
beaucoup plus le PS en difficulté que de proclamer que nous ne voulons pas nous allier avec lui. Ses
militants, ses sympathisants, ses électeurs, nous écouteraient davantage et se détacheraient plus
facilement de lui si il choisit (ce qui est le plus probable) de persister dans son orientation sociallibérale,
voire de l'aggraver en s'alliant ouvertement avec le MODEM dans les années qui viennent.
Gardons cependant à l’esprit que, si cette hypothèse (poursuite/aggravation de l’orientation socialelibérale)
est la plus probable, elle n’est pas certaine. L’histoire n’est pas écrite d’avance. Des
circonstances (mobilisations sociales, aggravation de la crise économique…) peuvent pousser le PS à
gauche. Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire. Cela a été le cas après Mai 68 où le PS,
droitier et marginalisé (5% à la présidentielle de 69), s’est reconstruit sur une ligne de gauche
(programme commun PS/PC) jusqu’à apparaître comme le champion de l’union (c’est d’ailleurs ainsi
qu’il a réussi à surpasser électoralement le PCF qui était jusqu’alors loin devant lui).
Dans le cadre de ces batailles pour le rassemblement de toute la gauche sur un programme
antilibéral, reste ensuite à se déterminer par rapport à des possibilités d’alliances ou d’accords
effectifs avec le PS au niveau local ou national. Mais c’est un autre problème. Tout accord est un
compromis dont l’intérêt s’apprécie en fonction de l’analyse de la situation (et notamment du rapport
de force) dans lequel on se trouve. Le compromis peut être bon ou mauvais. C’est à chaque fois un
débat particulier. Pour prendre un exemple historique, le compromis politique qui s’est fait à la
Libération a permis, sans sortir du capitalisme, ni de l’économie de marché, des avancées sociales
fondamentales que nous défendons aujourd’hui comme la prunelle de nos yeux. C’est sans doute qu’il
n’était pas foncièrement mauvais.
C’est d’autant plus vrai que les cas de figures et les possibilités sont multiples, qu’on peut concevoir
des alliances avec des degrés de liberté plus ou moins importants, qu’on peut par exemple participer
à une majorité municipale dans un groupe autonome et sans voter toutes ses décisions, ou voter la
confiance à un gouvernement sans y participer et même en s’opposant à lui sur certains votes
parlementaires. Là aussi, c’est une question d’appréciation liée à des situations concrètes. L’important
étant d’exploiter toutes les possibilités de faire avancer nos objectifs fondamentaux et de faire
obstacle aux politiques que nous combattons.
En résumé, si l’indépendance vis-à vis du PS et la nécessité d’une lutte politique résolue contre le
social-libéralisme ne se discutent pas, on ne saurait automatiquement en déduire que toute possibilité
d’alliance avec le PS doit être rejetée par avance. Sous couvert de radicalité, cette posture n’aboutirait
en effet, et a contrario de son objectif, qu’à renforcer ce parti en lui permettant de continuer à
apparaître comme la seule perspective crédible face à la droite.
Ce n’est pas en mettant des barrières à l’intérieur de la gauche que la gauche antilibérale sortira de la
marginalité. Il y a certes bien d’autres conditions à remplir (avancer sur le projet, le programme, le
type d’organisation, la communication, l’intervention dans les luttes et les différents milieux, etc…),
mais il s’agit là d’un enjeu essentiel pour son devenir.
Aix en Provence, le 31 août 2008.
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé entre 78 et 81 quand l’Union de la Gauche était mise en cause par le PCF (au point de pratiquer le vote « révolutionnaire » pour Giscard au second tour de la présidentielle de 81). C’est d’ailleurs ce tournant sectaire du PCF qui marque le début de son déclin et accélère la conquête de l’hégémonie à gauche par le PS.