COGITER AVANT DE S'AGITER d'Alexander Neumann

Publié le par EMINEM cgtmci@free.fr

Cher camarade,

je salue l'effort de tirer des bilans critiques et d'évaluer la complexité de la situation politique à gauche.
Oui, la candidature unitaire à gauche et les 125 propositions étaient trop conditionnées à des arrangements entre factions politiques et à l'existence des structures existantes.
Oui, il ne faut pas compter sur la capacité d'auto-réforme de courants politiques liées à la nostalgie de Gerorge Marchais (Mme Buffet et le PCF) ou François Mittérand (M.Mélénechon et la gauche socialiste).
Oui, il faut développer une critique plus profonde, donc radicale, des enjeux politiques.
Pour autant, la tentative de dialoguer avec la LCR me fait penser au noyé qui saisit une paille à la surface agitée de l'océan.

Cela pour des raisons qui ne sont pas conjoncturelles ni sectaires.

1. D'un point de vue purement pragmatique, il faut voir que l'opposition unitaire de la Ligue se fait laminer de façon procédurière par la direction : Licenciement de Christian Picquet, proçès d'exclusion des militants qui n'entrent pas dans le rang (Christophe Aguiton, etc.), départs nombreux de militants critiques (p.ex. Catherine Lebrun, membre du BP), et cela depuis 68 jusqu'à aujourd'hui.

2. D'un point de vue idéologique, il faut lire l'entretien récent de Danile Bensäid dans la revue Lignes, qui est un tissu de mensonges par omission. Nulle trace de l'orientation sectaire et ouvriériste LO-LCR qui, de 1999 à 2004, a laissé le champ libre à la gauche plurielle, puis entravé des regroupements à gauche du PS, jusqu'en 2005. Rappelons le refus explicite de la LCR d'assister -y compris comme observateur- aux réunions de l'alternative à gauche (appel Ramuleaud). C'est uniquement l'échec électoral complet de cette ligne trotskyste (2,7 % aux dernières européennes) qui a nécessité une tactique moins sectaire. Et non pas une quelconque capacité d'apprentissage propre de la LCR en tant qu'organisation.

3.D'un point de vue historique, il s'agit de voir que le "nouveau parti" a une histoire. Sans mémoire, il n'y a pas d'avenir, mais uniquement la répétition des erreurs du passé.
-Après mai 68, la LCR a décidé d'abandoner toute perspective de mouvement large (poussant même l'opposition de gauche au sein du PSU de scissionner abruptement), au profit de la construction d'une organisation trotskyste de type léniniste. La démarche de l'époque : Créer des comités "Rouge" pour recruter des militants en accord avec la Ligue, afin d'élargir la base du parti. Il suffit de consulter la toute dernière motion de la direction nationale de la LCR -votée en 2008- pour identifier cette même procédure (il s'agit à nouveau de créer des comités "nouveau parti" animés par les militants LCR).
-Après les grandes grèves de 1995, cette démarche est déjà explorée, sur la base d'un programme moins léniniste et plus dans l'air du temps, sous le nom "Entente pour l'espoir", supposée préparer la formation d'un "nouveau parti". La proposition étant de créer des "comités de soutien" partout, en 1996-97. L'idée n'a pas marché et s'est trouvée rapidement écartée, au profit de l'alliance électorale LO-LCR, sur la base programmatique de LO. Preuve du caractère propagandiste et peu substantiel du discours sur la "nouvelle force", que la LCR tire périodiquement du tiroir pour recruter des sympathisants et militants, au moins depuis 1992 (voir sa brochure "À gauche du possible", ed. La Brèche).
-Aujourd'hui, la répétition de ce schéma apparaît clairment dans le refus et l'incapacité de la LCR de co-organiser les réunions, meetings et comités "nouveau parti" avec des courants déjà existants à l'échelle hexagonale (libertaires, alternatifs, communistes refondateurs ou unitaires, gauche des Verts, autres courants trotskystes, etc.).
La direction nationale de la LCR accepte tout au plus des convergences locales, souvent partielles (ex. Toulouse), à condition qu'elles s'incrivent dans son schéma directeur et que ces forces soient de toute manière incontournables localement (ex.Clermont Ferrand). Dans le même temps, elle sanctionne toute transgression venant de la part de ses opposants internes et combat les initiatives unitaires externes. -Enfin, n'oublions pas que le dernier congrès de la LCR avait mandaté sa direction à réaliser une candidature de rassemblement à gauche du PS, mais que le noyau dur de cette même direction a tout fait pour la faire échouer en déclarant rapidement la candidature de Besançenot (qui s'est toujours prononcé contre l'idée même d'un tel rassemblement dans les votes internes).

4.D'un point de vue du projet politique, il doit nous étonner que la LCR ne cite jamais en positif la réussite du noveau mouvement politique Die Linke en Allemagne, issu d'une convergence conflictuelle de plusieurs courants larges et, surtout, d'un mouvement social contre la contre-réforme libérale du grouvernement "de gauche" Schröder. Dans Die Linke, on trouve aujourd'hui des écologistes et des responsables issus des Verts, des socialistes de gauche et des dissidents du SPD, des refondateurs communistes de l'Est, des trotskystes du même courant que la LCR, des altermondialistes d'ATTAC!, des syndicalistes de base, des chercheurs et intellectuels universitaires de toute tendance progressiste, etc. Le coup d'envoi de cette formation, qui pèse désormais 10% des voix sur le plan fédéral et qui met en crise les grands partis, n'était pas le rapprochement de quelques dirigeants politiques, mais la révolte massive contre les lois Hartz de 2004 (concernant le marché du travail). Révolte qui a mis en mouvement près de 300 000 personnes, dans des centaines de villes.
Où est passé l'internationalisme ou l'aletrmondialisme des trotskystes de la Ligue, dans une entreprise partidaire qui se justifie avant tout par le contexte national de la France?

5.D'un point de vue philosophique-critique, enfin, il convient d'approfondir le bilan et l'échec du léninisme/trotskysme/guévarisme/chavisme, qui part toujours de l'idée que les citoyens ne peuvent pas élaborer un projet d'émancipation à partir de leur propre expérience, mais que le parti doit leur apporter la conscience politique, "de l'extérieur" de leur propre vie.
Postulat philosophique historiquement éronné, mais qui est partagé par Lénine, Trotsky, Lukaçs, Bensäid et son jeune disciple Besançenot. Une alternative à cette démarche existe, comme on l'a vu en Mai 68, alternative qui a été conceptualisé par Oskar Negt dans "L'espace public oppositionnel" (Payot, 2007), entre autres auteurs. Approche théorique et expérimentale qui promet d'associer le féminisme, l'écologie et les cultures venues d'ailleurs, au lieu de leur consacrer des notes de bas de page dans des manifestes de parti.

Conclusions:

Dans ces conditions, il semble illusoire et même vaniteux de nouer un "dialogue" - qui implique une reconnaissance mutuelle et égalitaire - avec un appareil politique qui impose ses vues tout en soignant une rhétorique de l'ouverture. Ouverture médiatique d'autant plus facile à concéder qu'elle ne repose sur aucune pratique constante, comme le passé et le présent nous le montrent de façon strictement factuelle.

Ce constat objectif ne signifie pas qu'il faille baisser les bras, mais il implique que la seule démarche efficace pour arriver à une nouvelle formation politique est la critique de fond de l'approche historique de la LCR (alors que le PCF semble se charger lui-même de sa propre disparition progressive).

Si l'on veut être pragmatique, il faut commencer par déstabiliser la direction actuelle de la LCR, au lieu de la flatter, afin de la forcer au dialogue. En ce sens, les forces critiques et oppositionnelles auaraient tout à gagner de provoquer un débat publique sur les fondements politiques, historiques et théoriques du projet d'émancipation à venir. Au lieu de se laisser happer par le marketing idéologique et le lancement de gadgets à court terme (avant-hier le nouveau parti d'Arlette et la mutation de Robert Hue, hier la candidature Bové, demain le parti d'Olivier Besançenot). La controverse produira peut-être un dialogue.

Commençons à cogiter avant de nous agiter.

Salutations solidaires,

Alexander Neumann
Responsable de la rédaction de la revue Variations, fondée par Jean-Marie Vincent,
www.theoriecritique.com

Publié dans NPA

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article