Creuse toujours

Publié le par EMINEM cgtmci@free.fr

par Jean-Paul LAMBERT

Texte-base d’une intervention aux journées organisées par les
Objecteurs de Croissance à Royère (Creuse) du 26 au 29 Août 2007.
                               
Parlons franc. Croissance, décroissance, de quoi on cause ?

 

Quand nous disons DECROISSANCE nous avons en tête LA CROISSANCE MATERIELLE.

Et les autres ? [Ils ont en tête] LA CROISSANCE DES PROFITS MONETAIRES.

Qui a tort, qui a raison ?

Qu’il faille matériellement décroître, diminuer l’empreinte écologique, ce n’est pas à vous que je vais le démontrer. Mais dans les conditions actuelles tout économiste ou élu se met à hurler. Il nous traite d’irresponsables.

Faire la décroissance, dit-il, mais c’est vous tirer une balle dans la jambe !

Avec sa croissance, il nous retire la planète de sous les pieds. Mais sa logique répond quand même à des obligations précises, qu’il faut essayer de comprendre.


Qu’est-ce qu’il faut comprendre ? C’est qu’actuellement, l’économie tout entière repose sur l’obligation de faire des PROFITS MONETAIRES croissants.

2% par an, ça ne suffit pas. Surtout quand la Chine fait (« - «)  entre 9 et 11.

A supposer que les entrepreneurs se mettent tous au CAPITALISME VERT, à produire en masse des choses qui dépensent moins matériellement, à produire de la bouffe garantie bio, et même super-bio,

il faudra qu’ils en fassent des profits monétaires.

Certains s’en consolent d’avance en disant - chouette ! - ils n’en feront plus autant sur le dos de la planète. Mais alors, qu’ils ne se disent pas anti-capitalistes !


Songez par ailleurs qu’il en sera des produits décroissants comme des ampoules à faible consommation ou des rabais sur le téléphone, vite compensés par davantage d’ampoules et davantage d’appels. Et ce ne sont pas les entrepreneurs verdis et reverdis dans de nouveaux bidules qui vous le reprocheront. Ils pousseront comme toujours à la consommation qui fait les profits monétaires qui font marcher l’économie, et à supposer que les souffrances de la planète décroissent, celles des travailleurs se maintiendront au même niveau.

Voyons donc les choses une bonne fois en face.

¤ Tant que l’économie sera liée de près ou de loin aux profits monétaires, elle condamnera à vendre le maximum de produits et services, elle obligera d’écraser les concurrents, de délocaliser pour abaisser les frais, elle fera tout pour flexibiliser toujours plus efficacement les travailleurs.

¤ Tant que la politique économique sera liée de près ou de loin aux profits monétaires, les décisions se prendront dans les bureaux d’études où les prévisions de bilan passeront devant les prévisions écologiques.

¤ Tant que la politique tout court sera liée aux profits monétaires, nous n’aurons pas, JAMAIS la maîtrise de nos usages, la démocratie ne sera qu’une enveloppe vide.

¤ Tant que nous n’aurons pas compris, et cherché le moyen de ne plus faire dépendre des profits monétaires la vie des usagers et celle de la planète, nous n’aurons pas le droit de nous afficher anticapitaliste. Notre anticapitalisme sera de la frime, une façon, comme le lierre, de couvrir l’arbre, et les croissancistes n’auront pas tort de nous accuser de parasitisme]


Protester contre les abus du capitalisme ne donne pas le droit de se dire anticapitaliste. Pour en avoir le droit, il faut avoir un autre modèle à proposer.

****


Proposer cet autre modèle, et qui rompt absolument avec les principes du capitalisme, je vais y venir, mais vous allez voir, en le liant à une autre stratégie politique.

Car peut-on compter, pour sauver la planète, sur 5 à 15 % maximum, de travailleurs d’un type un peu particulier, qui votent écolos, se conduisent en personnes responsables, alertent sur les dangers de la croissance matérielle, mais sont bien obligés, comme les autres, à quelques exceptions près, qui confirment la règle, de compter sur la croissance monétaire pour leur fournir de l’emploi, assurer le service public et abonder les caisses d’allocations ?


Le combat des écolos est admirable. Je m’admire tout le premier !

Mais le salut de la planète est trop grave pour nous le confier. Nous l’approprier, ce salut, mènerait tout droit au totalitarisme écolo.

Au salut de la planète il faut intéresser l’ensemble des travailleurs. Après tout, c’est leur planète aussi ? Mais on ne les y intéressera pas seulement en faisant appel à leur conscience, leur âme, à leur pitié pour les baleines.



Pour intéresser à son sauvetage tous les usagers de la planète, encore faut-il leur proposer un modèle aussi attrayant et juste que le furent l’abolition des privilèges et la liberté d’opinion.



Faisons donc appel à des évidences qu’on n’ose plus dire ou voir, libérons les sentiments d’injustice et d’absurdité, qui sont aujourd’hui étouffés par la crainte du chômage et la flexibilité croissante. Exemple ?


Les produits et services sont là, ils existent, en surabondance, hélas, ET PLUS IL Y EN A PLUS IL Y A DE GUERRES ET DE FAMINES.

Les marchandises s’importent, s’exportent, et sous toutes les latitudes les travailleurs peinent pour se les procurer. Il faut les détruire pour maintenir les cours, loin des yeux des affamés, si possible, dont il meurt des millions par an !

Il faut démoder, rendre les machines irréparables. Et balancer les restes aux sous-développés pour achever de couler leur économie !

La planète en crève et les usagers aussi, une poignée de types tirent leur épingle du jeu.

Alors on continue, rien que pour leur faire plaisir ? On joue la servitude volontaire jusqu’à la fin de l’espèce humaine et des autres espèces aussi ?


Imaginez plutôt qu’on chiffre périodiquement

l’ensemble des produits et services disponibles

- au prix qu’ils ont par exemple aujourd’hui.

On fait le total. C’est le produit intérieur brut.

On distribue ce total aux usagers…



A chaque fin de période, chacun reçoit donc de quoi choisir dans ce qui a été produit.

Votre pouvoir de choix, cette fois, est GARANTI DIRECTEMENT sur ce que vous êtes capable de produire et non plus sur les profits monétaires que vous devez e faire, pour continuer d’en faire encore plus, avoir de l’emploi et un salaire.

Imaginez-vous disposant à vie d’un revenu garanti, complet, complètement garanti sur les richesses disponibles, pas comme « le revenu d’existence », prôné par Mme Boutin, députée UMP, ou par M. Lipietz, député Vert, un revenu à compléter, pas total, et faussement garanti sur les profits monétaires, qu’il faut faire sur un marché aléatoire et qui vous garantit en fait toujours plus de flexibilité.

 



Chacun disposant du revenu garanti complet, gagé sur les produits et services réels, tangibles, sans qu’on n’ait plus besoin d’en faire de profit, qu’est-ce qui se passe ?


Tout ce qui aura été produit pourra être acheté, puisque ceux qui l’auront produit en auront la contrepartie, monétaire ou autre, dans leur poche ou carte à puce.

Adieu les cartons par terre et les gens qui se vautrent honteusement dessus.

Disposant désormais à vie d’un revenu garanti complet, vous pourrez librement renouveler les produits et services dont VOUS aurez l’usage au lieu de vous les voir imposer pour des questions purement marchandes, de comptes de bilan, de remboursements bancaires et de caresses aux actionnaires.

Vous ne devrez plus craindre pour votre retraite. Vous aurez le droit, un droit qui déborde de partout le malheureux droit au travail, le droit de vous investir à vie dans les activités de votre choix.

Pas besoin de produire plus qu’on n’en a besoin. Vous serez prêt à affronter la crise du pétrole, à relocaliser à fond l’économie et gérer en toute responsabilité les ressources.



****

Je ne peux qu’esquisser.

Je ne vous apporte pas un truc tout fait sur un plateau.

Y réfléchir et opter pour cette drôle d’hypothèse de travail va vous demander quelques efforts aussi bien pour achever de la concevoir que pour la mettre en ondes politiques.

Il vous faudra un certain temps avant de conclure que l’affaire vaut d’être tentée.

Je ne m’y suis pas engagé du jour au lendemain.

Mais qu’est-ce qui m’a décidé ?

La réponse positive à trois questions.  Je vous les pose.


¤ Est-ce que l’économie sans profit monétaire s’accorde bien avec ce à quoi, en tant qu’écolos, nous aspirons ?

Au lieu d’avoir les yeux fixés sur les économies à faire, de nous évertuer contre les mésusages, à retardement, au lieu de prévoir de nouveaux impôts et taxes, et de proposer de nous venger des riches en pompant leurs revenus indécents, nous pourrons dès la conception d’un produit ou service, chercher ce qu’il implique de dépenses matérielles et énergétiques.


¤ Est-ce qu’une économie sans profits monétaires est compatible avec ce qui nous a fait préférer les promesses du libéralisme à celle, tout aussi fausses, de l’économie planifiée ?

Si j’ai une idée de produit ou service pertinent, intéressant, je ne devrai plus, comme le malheureux patron d’aujourd’hui, penser d’abord aux retours sur investissements.

Je ne serai plus asservi aux profits monétaires. Adieu les actionnaires qui louchent sur leurs dividendes. Bonjour les copains qui rivalisent dans des produits et services encore plus utiles et décroissants. S’ils font mieux que moi, tant mieux ! Pas de faillite ! Je ferai mieux la prochaine fois.

L’émulation remplace la concurrence.


¤ Est-ce que le modèle proposé est compatible avec les aspirations de ce qu’on n’ose plus appeler la classe ouvrière ? Avec les aspirations libertaires ?

Ayant des moyens de vivre assurés du berceau au tombeau je dispose désormais d’un droit de grève permanent. Je peux intervenir à tout moment sur les conditions de travail. Le petit chef local n’a qu’à bien se tenir.

Si le boulot devient sauvage, si c’est toujours les mêmes qui se tapent les trucs durs et longs et que leur bonne volonté épargne de chercher pourquoi il faut les faire durs et longs, je me retire.

Si ce que je fais ne m’apprend rien sur la façon dont il est devenu nécessaire de le faire, sur l’écologie d’usages dont ça fait partie, si les retombées environnementales, le principe de précaution sont oubliés, je laisse tomber : je n’ai pas besoin de votre truc pour vivre.

 

Et maintenant, faites bien attention à ceci :

Une économie sans profits monétaires ne permet pas seulement de faire la décroissance.

La décroissance, elle la fera en plus, comme par surcroît, cerise sur le gâteau, parce que nous aurons enfin la maîtrise de nos usages.

Si nous voulons vraiment faire la décroissance, surtout, il faut la faire avec tout le monde, avec des objectifs qui réalisent les idéaux de 1789, de la Commune, et à l’origine des Soviets - qui veut dire « conseils ».



***

Deux choses encore avant de répondre à vos questions.

¤ La sortie du capitalisme que je vous présente aujourd’hui doit beaucoup, l’essentiel, le renversement de l’origine des revenus, aux réflexions et recherches menées aux Etats-Unis à la fin du XIXe, déjà, et en France avant (suite à la crise de 29) et après la guerre. Nous nous reconnaissons donc distributistes comme on se reconnaît socialiste, communiste, écologiste ou libertaire, mais ça ne veut pas dire qu’on pense comme papa.


Vous verrez donc que si PROSPER a bel et bien adopté les deux principales propositions des distributistes historiques, le renversement de l’origine des revenus et l’abolition des profits monétaires, il a procédé à une révision complète des propositions secondes, propositions marquées par le planisme, le consumérisme d’époque, et l’idée qu’on aurait le bonheur par le progrès matériel.

Nous parlons donc de plus en plus couramment d’usologie, plutôt que d’écologie, parce que le but est la maîtrise des usages par les usagers et que sans elle il n’y a pas de défense de l’environnement qui tienne.


¤ Nous sommes par ailleurs encore nous-mêmes encore en recherche, des recherches qui prouvent que l’hypothèse à laquelle nous appelons à travailler est d’une fécondité bien supérieure au réformisme ambiant. Je vais prendre un exemple.

Dans une économie libérée des profits monétaires, qu’est-ce qui oblige encore de chiffrer les choses monétairement ?

Avec des prix ? Des prix additionnables ?

Dans une économie qui s’intéresse d’abord aux ressources disponibles, qu’est-ce qui importe avant tout ? C’est de savoir s’IL Y A ou N’Y A PAS, du blé ou des confitures, des moyens de transport et des machines-outils, des compétences, des recherches à mener. C’est de savoir où ça se trouve, du plus proche au plus lointain, et à quelle cadence on peut renouveler. C’est de savoir si ce que vous proposez de fabriquer, peut durer, se réparer facilement, se recycler.


En fait, disjoindre la comptabilité MONETAIRE de la comptabilité MATIERE, ça se fait déjà. Quand vous passez à la caisse, aujourd’hui, les codes-barres renseignent le commerçant sur deux choses : la masse monétaire que les produits représentent, et sur les réapprovisionnements nécessaires.

Ce qui nous intéresse, nous, ce sont ces réapprovisionnements, c’est d’attribuer des coefficients de disponibilité par zones de distance, des coefficients de renouvelabilité, de compatibilité.

Ce qui nous intéresse, c’est qu’au moment où les entrepreneurs, libérés du profit, proposent de faire l’expérience d’un nouveau génial produit ou service, il y ait des blocages automatiques d’attribution si jamais il y avait surchauffe, des clignotants quand il risque d’y avoir double emploi, avec renvois à des expériences déjà faites ou en cours. Tout ça peut être mis en place par codes-barre ou encore mieux que des codes-barre.


Mais ce qui nous intéresse le plus, en fait, grâce à des outils comme ceux-là, c’est de mettre l’EXPERIENCE au cœur de l’entreprise comme de nos existences.

C’est que les décisions soient prises à titre expérimental, pour pouvoir arrêter au moindre doute, au lieu de ravager toute la planète avant de s’en apercevoir.



Ce qui nous intéresse c’est que les décisions puissent être prises à l’essai, et que les usagers, libres entrepreneurs de leurs usages, puissent aussi librement se lancer dans une entreprise que l’arrêter, sans être encombrés par des sottises majoritaires, parce ce n’est pas le nombre qui a raison, pas plus que l’autorité des parents ou de l’Eglise, mais l’expérience.

Je ne peux pas tout dire en une demi-heure, nous continuerons d’y réfléchir dans les ateliers, mais vous reconnaîtrez sans doute qu’à côté des possibilités que je viens d’évoquer, les audaces les plus audacieuses de ce qu’on a défendu jusqu’ici sous la bannière de la démocratie directe semblent déjà un peu courtes.


***

Et maintenant, comparez, s’il vous plaît, le chantier que je vous propose d’ouvrir au catalogue de doléances et revendications que nous a encore fourni fin 2006 la gauche de la gauche.

Prenez au hasard une seule des revendications de ce catalogue.

Vous constaterez que pour la réaliser on en appelle sans le dire aux ressources du système actuel, on vous oblige à reprendre à votre charge l’ensemble du système capitaliste et donc le dogme de la croissance monétaire d’où découle la croissance des dépenses matérielles.


Faire passer telle réforme ou telle autre, sera d’abord l’affaire de ceux qui savent comment faire passer les réformes. Avant qu’ils s’entendent entre eux, ce sera long, et le résultat un compromis douteux.

Pendant ce temps la planète aura encore rétréci, et le compromis ne fera rien pour l’empêcher de rétrécir encore.


L’hypothèse que j’avance satisfait toutes les revendications que vous avez lues dans les programmes rassembleurs. Elle nous permet de développer encore les astuces auxquelles nous avons recours en marge du système actuel (mais qui lui apportent en fait une bouffée d’air).

Sa mise en ondes politique demandera certainement elle aussi du temps.

Mais ne vaudrait-il pas mieux le consacrer, ce temps, à la mûrir, cette hypothèse, plutôt qu’aménager dans les coins un système qui nous conduit dans le mur ?

Ne serait-il pas plus - intelligent, disons, et autrement excitant, de travailler à la tenir prête, que cirer les talons et les bottes des démagogues de droite et de gauche, dont le but est de faire du nombre et qui NOUS TRAITENT EN IDIOTS UTILES ?


Il vaut mieux partir de RIEN, mais sur une base vraiment innovante où chacun, chaque communauté, chaque pays, trouve de l’élan, puisse faire preuve d’audace, que de réciter les patenôtres libérales, ou, pire encore, les patenôtres anti-libérales qui laissent le champ libre aux hyper-libéraux.


Qu’avons-nous fait jusqu’ici ? Nous avons emprunté l’autoroute libéral avec une carriole écolo. Au milieu de toutes les catastrophes présentes et à venir la seule chose à faire c’est de créer le chemin.

 

Publié dans Décroissance

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P
J'ai fait un copier coller de votre texte que je trouve très intéressant pour le publier dans mon blog. Si cela pose le moindre problème, faitel e moi savoir, je le retirerai immédiatement avec mes plus plates excuses.<br /> Bonne journée.
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