SUJET DU DEPASSEMENT DE SOI
CONFERENCE 42
La première phrase de la préface à la première édition de la Critique de la
raison pure (1781) dresse le portrait d'une SUBJECTIVITE DECHIREE : “..la
raison humaine a cette destinée particulière dans un genre de ses
connaissances d’être accaparée de questions qu’elle ne peut écarter..; car
elles lui sont proposées par la nature de la raison elle-même, mais elle ne
peut non plus y répondre, car elles dépassent tout pouvoir de la raison
humaine...”
Il appartient à la NATURE DE LA RAISON – à laquelle Kant attribue
ici la subjectivité du sujet même, l'être de l'humain – le caractère
incontournable de questions qui la dépasse. En se faisant scène d'un
DEPASSEMENT DE SOI CONSTITUTIF, la raison est devoir. C'est son
“..destinée..”, dit Kant, au moins “..dans un genre de ses connaissances ”
qu'elle se trouve exhortée à exécuter plus qu'elle ne peut factuellement
exécuter. Car les questions, qui la briment et la mènent à l’“..embarras..”,
dépassent tout pouvoir de la raison humaine..”.
Ce sont des questions inhumaines. Des questions qui portent l'être de
l'humain aux nécessaires frontières indécidables. Des questions qui
dépassent le sujet et qui, en tant que sujet dépassé, l'assombrisse. Des
questions, par lesquelles la raison se précipite “..dans l'obscurité et des
contradictions d’où elle peut certes conclure que cela doit tenir à des
erreurs cachées quelque part, mais sans pouvoir les découvrir, parce que,
les principes dont elle se sert, comme ils vont au-delà des limites de toute
expérience, ne connaissent plus désormais de pierre de touche prise à
l’expérience. Le champ de bataille de ces combats sans fin, voilà ce qu’on
nomme Métaphysique.”
La raison est la raison de L'EXPERIENCE DE SOI – en tant que
DECHIREMENT DE SOI. Elle fait l'expérience des limites de toutes
expériences, de son impossibilité. Elle s'expérimente elle-même comme
limite ou comme cas limite, dans la mesure où comme le dit également
Kant la métaphysique appartient à la raison “..en tant que perfection de la
culture de toute raison humaine..”. L'articulation de soi de la raison est déjà
“..métaphysique..” dans le sens où la métaphysique, comme disent les
Prolégomènes, “..est donnée dans la constitution naturelle de la raison
humaine..”. La dialectique transcendantale (deuxième partie de la logique
transcendantale) est l'endroit même de la mise en scène de la
métaphysicité de la raison en tant que dépassement de soi
transcendantale. Même si le livre dans son intégralité participe à la
constitution d'un sujet au-delà de la fausse alternative du “..rationalisme..” et
de l'..“..empirisme..”, de l’idéalité et de la réalité – alors même qu'il combat
simultanément deux voies d'erreurs (la voie de la rêverie ou vision d'esprit
de la métaphysique précritique dogmatique et la voie du positivisme et du
culte des faits, toujours plus quiétiste).
Il est probable que ce sujet de l'expérience de soi soit beaucoup
moins éloigné, qu'on ne le suppose habituellement, de la conception d'un
SUJET NOUVEAU chez NIETZSCHE, dont la spécificité décisive est la
force et la volonté d'affirmation du retour éternel. Ce sujet aussi est sujet de
dépassement de soi et de la rotation forcée du sujet : sujet d'une certaine
DECAPITATION DE SOI ou de l’affranchissement de sa terre natale. Lou
Andreas-Salomé dit de lui qu'il fait de “..lui-même un sans-abri..” en tant que
SUJET DU DEVENIR et de son assentiment, qui doit s'affirmer au-delà de
ses facultés. Sujet qui apparaît dans la nouvelle philosophie comme SUJET
DE L'EXTASE (Heidegger), SUJET DE LA LIBERTE (Sartre), SUJET DU
DEHORS (Blanchot), SUJET DU MANQUE ONTOLOGIQUE, du VIDE, du
REEL, du NEANT (Lacan, Zizek), SUJET DE LA
DESUBJECTIVATION/DECENTRALISATION (Foucault), SUJET DE LA
DETERRITORIALISATION (Deleuze/Guattari), SUJET DE L'AUTRE, de la
responsabilité et de l'exposition de soi dans une HOSPITALITE
HYPERBOLIQUE, SUJET DE LA DIFFERANCE etc. (Levinas, Derrida).
Il s'agit toujours d'un sujet en relation avec le non-subjectif, à
l'étranger, à la NON-IDENTITE, à l'autre, tandis que cet autre, cet extérieur
ou ce réel, fait le coeur du sujet, sa subjectivité, son être, sa substance. “..Le
sujet est le réel..”, dit Zizek. Ce qui veut dire que la subjectivité du sujet, son
être, sa substance, sa nature ou son essence repose dans cette ABSENCE
DE SUBJECTIVITE, d'être, de substance, de nature ou d'essence. Le
concept de sujet ne peut être gagné qu'en relation avec ce qu'il dépasse.
Être sujet signifie être sans subjectivité transcendantale, substantielle,
essentielle, naturelle. Le SUJET SANS SUBJECTIVITE est sujet d'une
ouverture radicale : il est ouvert à la dimension de la fermeture du sujet.
C'est là que réside, selon Heidegger, la “..grandeur intérieure de l'être
humain..”, dans la possibilité d'aller au-delà de soi. Être autre par rapport à
ce qu'il est factuellement.
Peut-être que Nietzsche a contribué à l'approfondissement de la
figure kantienne d'un SUJET DE L'EXAGERATION DE SOI. Peut-être que
cela signifie de penser avec Nietzsche être kantien dans un sens non
dogmatique. Peut-être que Kant et Nietzsche ouvrent, par leur
complémentarité, incompatibilité et complicité muette, la zone d'une
AUTRE METAPHYSIQUE. Autant que nous comprenons par métaphysique
la zone d'une subjectivité s'affirmant contre elle-même.
La Critique de la raison pure est le fondement de soi métaphysique
de la métaphysique, “..métaphysique de la métaphysique..” comme Kant
l'écrit dans la lettre à Markus Herz du 11 mai 1781. C'est la subjectivité en
tant que telle qui questionne sa constitution transcendantale afin de s'établir
comme le champ d'une intranquillité métaphysique.. “..La métaphysique..”,
dira Heidegger, “..est une question, par laquelle nous questionnons au sein
du tout de l'étant et ainsi, nous questionnons le fait que nous, qui posons la
question, soyons inclus dans la question posée...” En tant qu’“..événement
fondamental du Dasein humain..”, la métaphysique (la philosophie) ..est
“..l’ultime débat et discussion de l’être humain, qui le saisit toujours en
entier..”. La vérité de la philosophie est “..essentiellement celle du Dasein
humain..”, qui se meut, “..bien qu’étant perpétuellement dans une situation
qui n’est pas favorable..”, mais qui parvient tout de même à la liberté.
La Critique de la raison pure se situe dans le champ de tension crée
par l’impuissance et la souveraineté. Critique de la raison pure en tant que
fondement de soi métaphysique est questionnement de soi et remise en
question de soi de la raison et de sa liberté. Avant d’être la métaphysique
même (la métaphysique qui articule ses possibilités et ses limites), elle est
la forme dans laquelle la subjectivité advient en tant que telle. Le sujet de la
métaphysique et la métaphysique comme sujet sont des noms du
mouvement de soi d’une raison exigée de son non-être. La raison n’est pas
ce qui exclut la non-raison. Elle est l’être d’un sujet qui reste ouvert à ses
limites, à sa non-subjectivité.
Le sujet de cette auto-limitation se délimite par cette ouverture. Il est ouvert
à une fermeture, qui limite infiniment son être. Ceci est la tension qui fait
trembler le sujet..: ouvert à la fermeture et être fermé (aveugle, dérangé,
fou) par rapport à l’ouvert (à la dimension de la vérité pure, de la sphère du
savoir absolu). Le sujet est déchiré entre l’ouvert et la fermeture. Il oscille
entre les univers de la lumière et de l’obscurité, entre la vie et la mort, entre
la nuit et le jour. C’est le sujet de cet entre-deux, entre-sujet d’un
mouvement oscillatoire, qui le singularise sans fin.
La première phrase de la préface à la première édition de la Critique de la
raison pure (1781) dresse le portrait d'une SUBJECTIVITE DECHIREE : “..la
raison humaine a cette destinée particulière dans un genre de ses
connaissances d’être accaparée de questions qu’elle ne peut écarter..; car
elles lui sont proposées par la nature de la raison elle-même, mais elle ne
peut non plus y répondre, car elles dépassent tout pouvoir de la raison
humaine...”
Il appartient à la NATURE DE LA RAISON – à laquelle Kant attribue
ici la subjectivité du sujet même, l'être de l'humain – le caractère
incontournable de questions qui la dépasse. En se faisant scène d'un
DEPASSEMENT DE SOI CONSTITUTIF, la raison est devoir. C'est son
“..destinée..”, dit Kant, au moins “..dans un genre de ses connaissances ”
qu'elle se trouve exhortée à exécuter plus qu'elle ne peut factuellement
exécuter. Car les questions, qui la briment et la mènent à l’“..embarras..”,
dépassent tout pouvoir de la raison humaine..”.
Ce sont des questions inhumaines. Des questions qui portent l'être de
l'humain aux nécessaires frontières indécidables. Des questions qui
dépassent le sujet et qui, en tant que sujet dépassé, l'assombrisse. Des
questions, par lesquelles la raison se précipite “..dans l'obscurité et des
contradictions d’où elle peut certes conclure que cela doit tenir à des
erreurs cachées quelque part, mais sans pouvoir les découvrir, parce que,
les principes dont elle se sert, comme ils vont au-delà des limites de toute
expérience, ne connaissent plus désormais de pierre de touche prise à
l’expérience. Le champ de bataille de ces combats sans fin, voilà ce qu’on
nomme Métaphysique.”
La raison est la raison de L'EXPERIENCE DE SOI – en tant que
DECHIREMENT DE SOI. Elle fait l'expérience des limites de toutes
expériences, de son impossibilité. Elle s'expérimente elle-même comme
limite ou comme cas limite, dans la mesure où comme le dit également
Kant la métaphysique appartient à la raison “..en tant que perfection de la
culture de toute raison humaine..”. L'articulation de soi de la raison est déjà
“..métaphysique..” dans le sens où la métaphysique, comme disent les
Prolégomènes, “..est donnée dans la constitution naturelle de la raison
humaine..”. La dialectique transcendantale (deuxième partie de la logique
transcendantale) est l'endroit même de la mise en scène de la
métaphysicité de la raison en tant que dépassement de soi
transcendantale. Même si le livre dans son intégralité participe à la
constitution d'un sujet au-delà de la fausse alternative du “..rationalisme..” et
de l'..“..empirisme..”, de l’idéalité et de la réalité – alors même qu'il combat
simultanément deux voies d'erreurs (la voie de la rêverie ou vision d'esprit
de la métaphysique précritique dogmatique et la voie du positivisme et du
culte des faits, toujours plus quiétiste).
Il est probable que ce sujet de l'expérience de soi soit beaucoup
moins éloigné, qu'on ne le suppose habituellement, de la conception d'un
SUJET NOUVEAU chez NIETZSCHE, dont la spécificité décisive est la
force et la volonté d'affirmation du retour éternel. Ce sujet aussi est sujet de
dépassement de soi et de la rotation forcée du sujet : sujet d'une certaine
DECAPITATION DE SOI ou de l’affranchissement de sa terre natale. Lou
Andreas-Salomé dit de lui qu'il fait de “..lui-même un sans-abri..” en tant que
SUJET DU DEVENIR et de son assentiment, qui doit s'affirmer au-delà de
ses facultés. Sujet qui apparaît dans la nouvelle philosophie comme SUJET
DE L'EXTASE (Heidegger), SUJET DE LA LIBERTE (Sartre), SUJET DU
DEHORS (Blanchot), SUJET DU MANQUE ONTOLOGIQUE, du VIDE, du
REEL, du NEANT (Lacan, Zizek), SUJET DE LA
DESUBJECTIVATION/DECENTRALISATION (Foucault), SUJET DE LA
DETERRITORIALISATION (Deleuze/Guattari), SUJET DE L'AUTRE, de la
responsabilité et de l'exposition de soi dans une HOSPITALITE
HYPERBOLIQUE, SUJET DE LA DIFFERANCE etc. (Levinas, Derrida).
Il s'agit toujours d'un sujet en relation avec le non-subjectif, à
l'étranger, à la NON-IDENTITE, à l'autre, tandis que cet autre, cet extérieur
ou ce réel, fait le coeur du sujet, sa subjectivité, son être, sa substance. “..Le
sujet est le réel..”, dit Zizek. Ce qui veut dire que la subjectivité du sujet, son
être, sa substance, sa nature ou son essence repose dans cette ABSENCE
DE SUBJECTIVITE, d'être, de substance, de nature ou d'essence. Le
concept de sujet ne peut être gagné qu'en relation avec ce qu'il dépasse.
Être sujet signifie être sans subjectivité transcendantale, substantielle,
essentielle, naturelle. Le SUJET SANS SUBJECTIVITE est sujet d'une
ouverture radicale : il est ouvert à la dimension de la fermeture du sujet.
C'est là que réside, selon Heidegger, la “..grandeur intérieure de l'être
humain..”, dans la possibilité d'aller au-delà de soi. Être autre par rapport à
ce qu'il est factuellement.
Peut-être que Nietzsche a contribué à l'approfondissement de la
figure kantienne d'un SUJET DE L'EXAGERATION DE SOI. Peut-être que
cela signifie de penser avec Nietzsche être kantien dans un sens non
dogmatique. Peut-être que Kant et Nietzsche ouvrent, par leur
complémentarité, incompatibilité et complicité muette, la zone d'une
AUTRE METAPHYSIQUE. Autant que nous comprenons par métaphysique
la zone d'une subjectivité s'affirmant contre elle-même.
La Critique de la raison pure est le fondement de soi métaphysique
de la métaphysique, “..métaphysique de la métaphysique..” comme Kant
l'écrit dans la lettre à Markus Herz du 11 mai 1781. C'est la subjectivité en
tant que telle qui questionne sa constitution transcendantale afin de s'établir
comme le champ d'une intranquillité métaphysique.. “..La métaphysique..”,
dira Heidegger, “..est une question, par laquelle nous questionnons au sein
du tout de l'étant et ainsi, nous questionnons le fait que nous, qui posons la
question, soyons inclus dans la question posée...” En tant qu’“..événement
fondamental du Dasein humain..”, la métaphysique (la philosophie) ..est
“..l’ultime débat et discussion de l’être humain, qui le saisit toujours en
entier..”. La vérité de la philosophie est “..essentiellement celle du Dasein
humain..”, qui se meut, “..bien qu’étant perpétuellement dans une situation
qui n’est pas favorable..”, mais qui parvient tout de même à la liberté.
La Critique de la raison pure se situe dans le champ de tension crée
par l’impuissance et la souveraineté. Critique de la raison pure en tant que
fondement de soi métaphysique est questionnement de soi et remise en
question de soi de la raison et de sa liberté. Avant d’être la métaphysique
même (la métaphysique qui articule ses possibilités et ses limites), elle est
la forme dans laquelle la subjectivité advient en tant que telle. Le sujet de la
métaphysique et la métaphysique comme sujet sont des noms du
mouvement de soi d’une raison exigée de son non-être. La raison n’est pas
ce qui exclut la non-raison. Elle est l’être d’un sujet qui reste ouvert à ses
limites, à sa non-subjectivité.
Le sujet de cette auto-limitation se délimite par cette ouverture. Il est ouvert
à une fermeture, qui limite infiniment son être. Ceci est la tension qui fait
trembler le sujet..: ouvert à la fermeture et être fermé (aveugle, dérangé,
fou) par rapport à l’ouvert (à la dimension de la vérité pure, de la sphère du
savoir absolu). Le sujet est déchiré entre l’ouvert et la fermeture. Il oscille
entre les univers de la lumière et de l’obscurité, entre la vie et la mort, entre
la nuit et le jour. C’est le sujet de cet entre-deux, entre-sujet d’un
mouvement oscillatoire, qui le singularise sans fin.